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Sous le soleil de Lubumbashi : entre albinisme, résilience et défis climatiques
LE VOYAGE DE SIMON EN TANT QUE PERSONNE ATTEINTE D'ALBINISME
Écouter la version audio de l'histoire de Simon (en français)
Je m'appelle Simon Pierre Kalenga Kalonji, je suis l'enfant du Haut Katanga, en République démocratique du Congo. J'ai grandi à Lubumbashi, une ville riche en ressources minières, une terre convoitée pour ses trésors, mais pour moi, c'est bien plus que cela. C'est une terre particulière, un lieu où les rivières apportent une fraîcheur passagère face à un soleil de plus en plus impitoyable.
Grandir ici, en tant que personne atteinte d'albinisme, n'a jamais été facile. Je me souviens encore de mon premier jour d'école. À cinq ans, j'avançais fièrement, sac au dos, prête à découvrir ce nouveau monde. Mais dès que je suis entrée dans la classe, les enfants se sont enfuis, effrayés par ma différence. Ce jour-là, j'ai compris que mon albinisme me séparait des autres, que ma peau claire et mes cheveux presque blancs créaient une barrière que je ne pouvais pas contrôler.
J'ai passé un long moment à m'interroger devant le miroir :
Pourquoi suis-je née ainsi ? Pourquoi ma peau n'est-elle pas comme celle des autres ?
Ces questions m'ont hantée jusqu'à ce que j'apprenne à accepter mon reflet, et plus encore, à embrasser ma différence avec fierté.
Mais je ne savais pas que la porte vers des défis encore plus grands était sur le point de s'ouvrir devant moi.
Aujourd'hui, je suis confrontée à une menace bien plus insidieuse que les discriminations que j'ai subies : le changement climatique.
La chaleur, et plus inquiétant encore pour nous, personnes atteintes d'albinisme, l'augmentation des rayons UV, est devenue un véritable ennemi.
Aujourd'hui, de septembre à mai, le soleil brûle avec une intensité que ma peau ne peut plus supporter. Dès 9h30, je ne peux pas rester dehors sans ressentir les effets directs du changement climatique sur mon corps. Ma peau rougit, des taches apparaissent et, parfois, je subis des brûlures profondes. C'est comme si le soleil, autrefois simple source de lumière, était devenu un prédateur impitoyable, me traquant ainsi que mes frères et sœurs atteints d'albinisme.
La douleur d'être sous le soleil est parfois si intense que je suis obligé de fuir, cherchant désespérément une ombre salvatrice. Mais fuir n'est pas une option.
Pour les personnes atteintes d'albinisme, gagner sa vie, en plus des multiples barrières socio-économiques, signifie affronter chaque jour les effets directs du changement climatique. Nous sommes obligés de sortir, de travailler, de lutter pour une vie digne, de nous aventurer simplement pour survivre. Pourtant, chaque jour passé à l'extérieur est un pari dangereux.
Une exposition prolongée fait perdre à la peau son éclat, et des tumeurs apparaissent, souvent mortelles. Trop de mes frères et sœurs ont quitté ce monde bien trop tôt, sans jamais avoir eu la chance de vivre.
Je pense à Emma, une jeune amie atteinte d'albinisme. Elle avait 24 ans et était pleine d'ambition.
Elle avait terminé ses études et s'était lancée dans la vente de pantoufles pour subvenir à ses besoins. Mais peu à peu, des lésions sont apparues sur sa peau. Lorsque nous avons réalisé la gravité de son état et l'avons emmenée voir un médecin, il était déjà trop tard.
Elle est décédée, emportée par une maladie que nous connaissons trop bien et que nous craignons de tout notre cœur.
Chaque jour, les personnes atteintes d'albinisme sont confrontées à des risques mortels en raison d'une protection insuffisante contre les rayons UV du soleil. En seulement six mois, quinze personnes atteintes d'albinisme sont mortes d'un cancer de la peau dans notre ville (OBEAC 2021). Nous manquons de ressources essentielles, même la plus élémentaire : la crème solaire. C'est un luxe que beaucoup d'entre nous ne peuvent pas s'offrir. L'absence de traitement approprié signifie que 90 % des personnes atteintes d'albinisme en Afrique ne vivent pas au-delà de l'âge de 40 ans. Cette statistique est terrifiante, et c'est notre réalité quotidienne (Rao 2018).
Le changement climatique n'affecte pas seulement notre santé physique, il transforme aussi nos vies.
Beaucoup d'entre nous ont dû renoncer à leurs rêves et à leurs passions. Certains de mes amis qui étudiaient l'agronomie, les sciences de l'environnement ou même le commerce ont été contraints de changer de voie, ne pouvant pas travailler sous le soleil avec l'albinisme. Nous sommes poussés vers des métiers qui nous permettent de rester à l'intérieur, à l'abri des rayons, quitte à abandonner nos ambitions les plus profondes, et même si cette option de travail n'est pas à la portée de tous.
Aujourd'hui, je dirige l'Organisation pour le bien-être des personnes atteintes d'albinisme au Congo (OBEAC). Nous sommes une communauté forte, unie par des liens de solidarité face aux défis que nous rencontrons. Nous éduquons nos frères et sœurs sur les dangers du soleil et leur expliquons comment se protéger au mieux : porter des vêtements longs, des chapeaux, et éviter les expositions prolongées. Nous nous efforçons de distribuer de la crème solaire, mais nos efforts sont souvent insuffisants. Nous lançons un appel aux autorités, en espérant qu'un jour elles prendront conscience de notre situation et agiront.
Je rêve d'un avenir où nous serons mieux protégés, où la crème solaire sera accessible à tous, où nos gouvernements prendront en compte les effets du changement climatique sur les personnes atteintes d'albinisme.
Nous sommes parmi les premières victimes du réchauffement climatique, et pourtant nous sommes souvent les derniers à être entendus.
Nous avons besoin de vous, décideurs et acteurs du changement social. Accordez-nous l'accès à la protection solaire, incluez-nous dans les discussions sur la justice climatique aujourd'hui et pour l'avenir. Ensemble, nous pouvons construire un monde où nos différences ne sont pas une faiblesse, mais une force. Ensemble, nous pouvons créer un avenir où les personnes atteintes d'albinisme pourront vivre pleinement, sans craindre la mort, que ce soit au soleil ou dans l'ombre.
À propos de Simon Pierre Kalenga
Simon Pierre Kalenga est un défenseur des droits de l'homme originaire de la République démocratique du Congo et atteint d'albinisme. Il est le président de l'Organisation pour le bien-être des personnes atteintes d'albinisme au Congo (OBEAC), une organisation qui se consacre à la protection et à la promotion des droits des personnes atteintes d'albinisme. Simon milite pour une meilleure connaissance de l'albinisme et lutte activement contre la discrimination et la marginalisation dont sont victimes les personnes atteintes d'albinisme.